DOSSIER MILDIOU

Nuancer le débat sur le mildiou et les variétés de nouvelle génération
Cet article a été publié dans Potato Magazine, numéro 43 (avril 2024), et a été rédigé par Sjefke Allefs, responsable R&D chez Agrico Research.
Après une campagne particulièrement difficile sur le plan phytosanitaire, marquée par une forte pression du mildiou (Phytophthora) et une certaine déception quant aux performances des variétés dites « résistantes », les variétés Next Generation attirent l’attention des revues spécialisées. On y lit souvent que la lutte contre le mildiou est aujourd’hui un véritable défi. Il m’a semblé nécessaire d’apporter de la nuance et de souligner les divergences de perspective, notamment en ce qui concerne les souches, les gènes de résistance et l’usage des variétés Next Generation.
Le mildiou de nouveau au centre des débats
La presse spécialisée s’est largement fait l’écho des difficultés rencontrées pour contenir le mildiou, en raison d’une pression exceptionnelle en 2023 et de l’apparition de souches devenues moins sensibles, voire résistantes. Parallèlement, certains estiment que les variétés dites résistantes ne sont plus efficaces, car le champignon aurait déjà contourné leurs défenses génétiques.
Chez Agrico, nous avons compris depuis un certain temps qu’il était essentiel de communiquer de manière plus nuancée auprès des producteurs. En cliquant sur le lien situé au bas de cette page, vous pourrez accéder à une documentation approfondie sur le sujet.
La relation entre la pomme de terre et le pathogène qu’est le mildiou a fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques depuis plus de 150 ans. Les connaissances se sont considérablement enrichies, mais il reste difficile, sur le terrain, d’avoir des échanges nuancés. La réalité, souvent complexe, est trop fréquemment réduite à des généralités simplificatrices, largement diffusées.
Je constate que la réalité, qui est complexe, est souvent réduite à quelques généralités pratiques, qui sont répétées ad nauseam. Dans cet article, je souhaite me concentrer sur les divergences d’opinion entre nous, producteurs de pommes de terre, et les experts du secteur. Il est parfois sous-entendu qu’Agrico aurait tout intérêt à promouvoir les variétés Next Generation au détriment de la vérité. C’est pourquoi je m’appuie ici sur des sources scientifiques numérotées, accessibles également via le lien en bas de page.


Souches et virulence
Depuis les années 1970, les deux types sexués de Phytophthora infestans sont présents en Europe. Entre 1845, date de l’apparition du pathogène en Europe, et le milieu des années 1970, un seul type sexué était identifié : le type A1. Durant cette période, aucune reproduction sexuée n’était possible, et le virus se propageait uniquement par voie asexuée, via les zoospores. Ces dernières sont responsables du velours grisâtre visible au revers des feuilles infectées.
Chaque zoospore étant une copie génétique de la culture mère, on parle alors de souche clonale. La souche d’origine, présente avant les années 1970, a été codée US-1. Elle était répandue en Amérique du Nord et en Europe.
Aux alentours de 1980, on a découvert la présence en Europe du second type sexué, appelé A2. Cette découverte a confirmé que Phytophthora infestans pouvait désormais se reproduire sexuellement. La reproduction sexuée conduit à la formation d’oospores. Lorsqu’elles germent, ces oospores donnent naissance à de nouvelles souches génétiquement distinctes, tant entre elles qu’en comparaison avec leurs souches parentes, à l’image des enfants au sein d’une même famille.
Ainsi, de nouvelles souches peuvent apparaître de manière aléatoire, et certaines d’entre elles peuvent s’avérer particulièrement bien adaptées à leur environnement. Ces souches peuvent alors se propager efficacement sous forme de souches clonales via les zoospores. L’ancienne souche US-1 a depuis disparu, remplacée par ces nouvelles souches clonales plus performantes.
Aujourd’hui, la formation de nouvelles souches issues de la reproduction sexuée se poursuit, mais il est rare que ces dernières parviennent à concurrencer les souches clonales les mieux adaptées à leur milieu. Les souches clonales observées sur plusieurs années et représentant une part significative de la population de mildiou sont numérotées.
Prenons par exemple la souche désormais répandue EU_43_A1. Son code indique qu’il s’agit de la 43e souche clonale dominante identifiée en Europe. Elle appartient par ailleurs au type A1.
Pendant une période d’utilisation généralisée de produits phytosanitaires contenant le principe actif fluazinam, des enquêtes ont révélé une augmentation progressive de la présence de la souche EU_33_A2. Des tests en laboratoire ont ensuite confirmé que cette souche présentait une tolérance accrue au fluazinam par rapport à d’autres souches. Lorsque l’utilisation du fluazinam a diminué, EU_33_A2 a presque disparu, laissant place à d’autres souches clonales devenues dominantes.
Ces observations concernant EU_33_A2 et l’utilisation du fluazinam suggèrent que les souches du mildiou semblent capables de subir des modifications génétiques les rendant tolérantes – ou moins sensibles – aux substances actives des fongicides. Cette tolérance semble avoir été acquise par la souche concernée et transmise à toute sa descendance, produite en grand nombre via les zoospores.
Malheureusement, on suppose souvent – sans distinction suffisante – que la même logique s’applique à la capacité d’une souche à surmonter la résistance d’une variété de Nouvelle Génération. En biologie, la capacité à contourner une résistance génétique est appelée virulence. On considère qu’une souche de mildiou est virulente vis-à-vis du gène de résistance X si elle parvient à éviter d’être reconnue par ce gène. Dans ce cas, la réponse de défense de la plante n’est pas activée, ce qui permet à l’agent pathogène d’infecter et d’endommager la culture.
Par défaut, les agents pathogènes sont avirulents : ils se présentent sous une forme reconnue par le gène de résistance X, ce qui déclenche une réponse immunitaire efficace chez la plante, empêchant l’infection de s’établir. En revanche, si une spore virulente atterrit sur une feuille, elle infecte la plante, et l’on dit alors que la résistance a été « rompue ».


Contournement de la résistance dans les variétés Next Generation
Le développement de l’insensibilité aux substances actives des fongicides et celui de la virulence face aux gènes de résistance dans les variétés se produisent au niveau génétique, dans les souches de mildiou. Mais, à un niveau biologique plus profond, les événements génétiques à l’origine de ces phénomènes semblent de nature très différente. Il serait trop long d’expliquer ici tous les rouages de ce mécanisme.
En tout cas, cette différence rend l’insensibilité aux substances actives rare, irréversible et liée à des souches — comme dans l’exemple de EU_33_A2, qui était devenue insensible au fluazinam.
En revanche, les changements entraînant une virulence contre les variétés dotées de gènes de résistance sont fréquents et souvent (mais pas toujours³) réversibles : un gène virulent peut devenir (ou redevenir) avirulent⁴. Et comme les mutations conduisant à la virulence ou à l’avirulence sont fréquentes, elles ne sont pas spécifiques à une souche donnée. Chaque souche peut présenter toutes les variations imaginables de la capacité à contourner la résistance des variétés⁵.
Chez Agrico, nous ne nous intéressons pas à la dynamique des souches, qui vont et viennent. Pour nous, rien n’a changé depuis l’apparition du type A2 de Phytophthora dans les années 1970. Même l’ancienne souche US-1 était déjà capable de contourner certains gènes de résistance, et de nombreuses études décrivent sa grande diversité de profils de virulence.
Donc, lorsque les revues spécialisées titrent par exemple : « Toutes les variétés de pommes de terre connues sont sensibles à EU_43_A1 »⁷, sachez que cela signifie simplement que certaines variantes de la souche EU_43_A1 peuvent affecter la variété X, et d’autres variantes, la variété Y. On peut aussi facilement trouver des variantes de EU_43_A1 qui n’affectent ni la variété X ni la variété Y.
En 1966, deux nouveaux gènes de résistance ont été identifiés dans du matériel de sélection primaire. Or, dans une collection historique d’isolats de mildiou a, la virulence à leur encontre était déjà largement répandue¹⁰. Dans des pays comme les États-Unis, où très peu de variétés ont intégré des gènes de résistance, un isolat de souche américaine prélevé au hasard présente en moyenne 8 ou 9 virulences, et parfois jusqu’à 11. Même en l’absence de culture de pommes de terre, sur un milieu artificiel, des cultures issues de zoospores isolées peuvent différer fortement de leur souche mère quant à leur capacité à contourner les gènes de résistance, ou au contraire à en être freinées. À l’échelle de l’ADN et des gènes, la variabilité du mildiou apparaît donc immense.
Il devient de plus en plus clair que cette réalité est difficile à comprendre, et à accepter, pour nombre d’acteurs concernés. Pourtant, les variétés résistantes exercent peu, voire pas du tout, de pression de sélection sur mildiou. De plus, les gènes de résistance intégrés dans ces variétés ne deviennent pas nécessairement « définitivement inutilisables », bien au contraire. De nombreuses observations sur le terrain suggèrent que l’efficacité d’un gène de résistance dépend davantage du hasard de la rencontre, à un moment donné, entre une culture de pommes de terre et une population locale de mildiou. Le résultat varie d’une année à l’autre, et d’une région à l’autre.
Nos connaissances scientifiques sur ces dynamiques spatio-temporelles restent limitées. On peut supposer que, si une variété Next Generation a subi une forte pression en mildiou lors de la saison précédente, de nombreux tubercules infectés de manière latente peuvent être restés dans le champ. Ceux-ci pourraient alors constituer un réservoir important d’inoculum pour toutes les variétés porteuses du même gène de résistance au début de la saison suivante. Mais cette hypothèse reste à confirmer. Nous ne connaissons pas non plus la surface totale des zones où, sur une saison donnée, des populations virulentes de mildiou exercent une pression significative.
C’est précisément pour cette raison que nous demandons à tous les producteurs de nous faire part de leurs observations sur le comportement des variétés, en particulier celles de la gamme Next Generation. Ces retours doivent être transmis à notre responsable de terrain. Grâce à ces contributions, nous pourrons améliorer notre compréhension au fil des saisons et intégrer ces données dans nos programmes de sélection actuels.


Soldats de plomb
Cela m’amène à déconstruire une autre idée reçue : on prétend souvent que les gènes de résistance sont comparables à des soldats de plomb, qui tomberaient les uns après les autres pour devenir, à terme, définitivement inutiles. Or, tous les gènes de résistance ne fonctionnent pas de façon à conférer une résistance totale aux variétés. Certains n’offrent qu’un niveau de protection à peine perceptible par rapport aux variétés sensibles. Par ailleurs, il existe d’importantes différences entre les gènes de résistance quant à la fréquence de la virulence observée dans les parcelles d’essai. Là encore, la réalité est bien plus nuancée que ce que l’on imagine souvent.
L’apparition fréquente de formes virulentes, même si elles finissent par affecter les variétés Next Generation, ne constitue en rien une raison pour les producteurs de baisser les bras. Lorsqu’une variété combine plusieurs gènes de résistance, on s’attend à ce qu’elle soit, au cours d’une saison donnée, moins souvent touchée, et sur un territoire plus restreint, par les souches virulentes de Phytophthora qui émergent ou sont disséminées par le vent. Sur le long terme, ces variétés se révèlent donc systématiquement plus robustes, même si les gènes de résistance qu’elles portent ont déjà été contournés. Malheureusement, il est impossible de prédire avec certitude quelles combinaisons de gènes s’avéreront les plus efficaces en conditions réelles, raison pour laquelle on adopte une approche large et diversifiée.
Les apprentis sorciers
Que nous réserve la saison 2024, et comment cultiver les variétés Next Generation actuellement disponibles ?
Après une année 2023 marquée par une forte pression de mildiou et des difficultés d’accès à certains produits phytosanitaires, certains producteurs pourraient être tentés de jouer aux l’apprentis sorciers pour la saison en cours.
La question de savoir si la pression de la maladie au cours d’une saison est influencée par celle de l’année précédente a fait l’objet d’une étude approfondie, du moins aux Pays-Bas¹⁷. Or, lorsqu’on trace les données sur un graphique, aucune corrélation nette ne se dégage entre la pression de la maladie d’une année donnée et celle de l’année suivante, et ce sur une période de 47 ans. Bien que les analyses statistiques aient suggéré une certaine significativité, il est apparu que les facteurs météorologiques, comme la température et le nombre de jours de précipitations, ont une influence bien plus déterminante sur la pression exercée par Phytophthora infestans au cours d’une saison.


Conseils
Pour les producteurs biologiques, il est dans tous les cas judicieux de cultiver des variétés portant le label « Next Generation », car ce sont tout simplement les variétés les plus résistantes disponibles à ce jour. Il est également recommandé de choisir des variétés dotées de gènes de résistance différents, afin de répartir les risques au sein de l’exploitation. La prégermination des plants de pommes de terre permet de rendre la culture un peu plus précoce. Compte tenu des spécificités de l’agriculture biologique, il ne reste ensuite qu’à croiser les doigts et, en cas d’infestation, à brûler la culture au moment opportun.
Pour valoriser la résistance des variétés Next Generation en culture conventionnelle, des essais en plein champ ont été menés en collaboration avec Agrifirm au cours des 6 dernières années. Cette série d’expériences a montré que l’avantage lié à la résistance s’exprime surtout en début de culture : en résumé, il s’agit de laisser la résistance agir tant qu’elle le peut.
Dès l’apparition de la première attaque ou du premier foyer d’infestation sur votre parcelle, ou dans une parcelle voisine cultivant une variété portant le même gène de résistance, il est nécessaire de débuter les applications fongicides, en suivant le même calendrier de traitement que celui prévu pour les variétés sensibles, à partir de cette date. Je suis conscient que cette approche a pour faiblesse de nécessiter une surveillance rigoureuse des parcelles. Lorsque les conditions météorologiques sont favorables à l’infection, il est en effet indispensable d’inspecter les cultures plus d’une fois par semaine. C’est pourquoi nous vous encourageons à signaler toute infestation observée dans les variétés Next Generation, qu’elles soient cultivées en agriculture conventionnelle ou biologique, au service de terrain. Cela permettra à Agrico de suivre l’évolution de la situation tout au long de la saison de culture et de transmettre ces informations à ses producteurs.
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